À propos de l’Etat confessionnel selon Mahdi Amil

Jérôme Maucourant, « Une alternative à la lecture culturaliste :

à propos de L’État confessionnel de Mahdi Amil », Al Mouaten, n°39, oct-nov 97, pp. 17-18, 1997.

À propos de l’Etat confessionnel selon Mahdi AmilRecension de l’ouvrage de Mahdi Amil, L’Etat confessionnel – le cas libanais, 1996 Editions La Brèche, Montreuil, Préface de Georges Labica, traduction et introduction Marwan Mansour- El Khoury, 287 p.

Un débat important de notre modernité concerne les moyens de résoudre les problèmes que poseraient la coexistence des “communautés”, quelles que soient les façons de définir ce terme. Quant aux communautés confessionnelles, l’expérience libanaise est riche d’enseignements. La guerre civile aurait, pour certains, des causes internes, comme l’impossibilité supposée des sociétés multiconfessionnelles à atteindre le modèle laïc dont l’Occident serait le parangon. Pour d’autres, le processus de liquidation des formes politiques héritées de l’empire Ottoman aurait été empêché par une cause principalement externe : le contexte géopolitique très particulier constitué par les conflits israëlo-palestiniens et israëlo-arabes. Le livre de Mahdi Amil a le mérite de constituer une alternative aux explications par trop culturalistes qui enferment le Liban dans l’immobilité supposée d’un Orient imaginaire ; de même, Amil se démarque résolument des interprétations faisant la part trop belle à certaines déterminations géopolitiques qu’on estime capables de manipuler un corps social essentiellement passif.

Mahdi Amil, de son vrai nom Hassan Hamdan, théoricien du parti communiste libanais assassiné en 1987 (par des extrémistes issus de sa communauté d’origine précise G. Labica dans l’introduction à l’ouvrage), tente ici de penser la question du confessionnalisme dans une démarche inspirée par Louis Althusser. La langue de l’auteur semble donc bien empreinte de l’esprit d’une autre époque ; nombre de certitudes de l’auteur sur l’aspect crucial de la “lutte des classes” dans la dynamique de la guerre civile contribue aussi à vieillir cet ouvrage. Le malaise qu’on peut ressentir augmente à la mesure des répétitions, lesquelles sont dues à la structure même du texte en forme de dialogue avec des auteurs.

Toutefois, il serait dommage que le lecteur n’ait pas la volonté de décortiquer une pensée qui associe la rigueur avec une intuition majeure ; loin d’être l’expression transhistorique d’une essence, la confession est un rapport politique qui subordonne les classes dominées “à leurs représentants confessionnels au sein de la bourgeoisie (…) elles sont privées, dès lors, d’une existence politique indépendante” [p. 37]. La logique du confessionnalisme comme système ne doit pas donc être compris à la lumière d’une généalogie des formes sociales, laquelle mettra en évidence, par exemple, le rôle des millets ottomans ; au contraire, cette logique doit être remis dans le contexte des métamorphoses du “mode de production capitaliste” dominant et de ses avatars de la “périphérie”. Toutefois, ce dernier point n’est pas vraiment abordé dans l’ouvrage qui se donne pour objet essentiel la signification présente du confessionnalisme. Celui-ci aurait engendré un état de crise structurelle, source d’“une guerre civile permanente”, rendant violente la transition vers la modernité comprise comme “état bourgeois cohérent”. Amil précise à cet égard, dans un passage d’une force rare [pp. 180-181] que le confessionnalisme “menace les libertés religieuses en confirmant le caractère politique des communautés confessionnelles”.

En premier lieu, Amil montre que l’équilibre confessionnel est nécessairement hégémonique [p. 46] en conséquence du résultat inévitable de la compétition entre les confessions qui est organisée à l’intérieur de ce type État. Ainsi, parce que “cet état confessionnel est l’obstacle à l’unification de la société” [p. 131], ce serait une erreur de penser qu’un confessionalisme réformé permettrait d’engendrer des formes plus modernes de pratiques démocratiques qui, à long terme, en viendraient même à dissoudre les confessions.

En second lieu, Amil polémique avec ceux qui, dans le cadre du marxisme, défendent de façon inconséquente le “pluralisme libanais” [p. 260] qui serait un antidote au racisme, alors que le fruit du confessionnalisme a été, selon Amil, l’entreprise phalangiste de créations de cantons confessionellement “purs”. Il rejette également ceux des “marxistes” libanais qui assimilent les communautés à des classes et qui rendent les maronites responsables du confessionnalisme [p. 196 et p. 214] ; une telle critique, adressée aux prétendus marxistes libanais qui dérivent en fait vers des positions confessionnelles [p. 216], est d’autant bien venue que ce genre d’approximation n’est pas l’apanage des “marxistes”. En effet, de telles propositions résultent de l’absence d’une conceptualisation sérieuse de la confession comme rapport politique et de l’oubli de la spécificité du concept marxien de classes lequel est essentiellement économique. “L’analyse de classe n’a pas de préférence pour une confession”, insiste Amil ; le chiite, par exemple, peut donc selon cette analyse être révolutionnaire parce que “luttant contre Israël” et “réactionnaire” s’“il adopte une position réactionnaire” [p. 264]. 

Précisément, l’assassinant d’Amil résulte de cette position de raison que cet intellectuel a défendue. Trop conscient de la perversité du confessionalisme, il n’attribuait pas de vertu particulière à la communauté comme essence, laissant ce genre de rêverie à certains orientalistes. Toutefois, les infortunes de la guerre civile sont aussi dues aux errements de l’“analyse matérialiste” telle que certains, comme le secrétaire général du parti communiste libanais, l’ont pratiquée. G. Corm [1989, pp. 326-7] a ainsi proposé d’expliquer l’emprise croissante des phalangistes sur les chrétiens par l’irresponsabilité de dirigeants “progressistes” responsable du massacre de Damour ect. : n’oublions d’ailleurs pas qu’au début de la guerre les phalangistes étaient minoritaires chez les chrétiens. Bien sûr, Amil n’aurait pas apprécié cette remarque qui va, néanmoins, dans un sens qu’il n’aurait pas désavoué : rendre compte des événements par la compréhension de la logique des rapports de force, loin de toute référence à la permanence du “religieux” qui instituerait mystérieusement et à jamais les règles politiques.

D’ailleurs, la période qui s’ouvre de 1988 à la fin de la guerre ouverte en 1990, illustre la thèse selon laquelle le jeu politique Libanais n’est pas voué éternellement au confessionnalisme. La période où Aoun est au pouvoir correspond à une déconfessionnalisation du conflit, selon Henry Laurens [1991, p. 371] ; malheureusement, le contexte politique qui émerge de la Guerre du Golfe a œuvré de façon décisive à reconfessionnalisation totale d’un système politique libanais qui, à l’heure qu’il est, on ne s’en étonnera pas, est fragile [Maila, 1995, p. 21]

 

Bibliographie

Corm G., [1991], L’Europe et l’Orient, La découverte, Paris 1989.

Laurens H., [1991] Le Grand Jeu – Orient arabe et rivalité internationale, Paris, Armand Colin.

Maila J., [1995] “La république de Taêf ou l’esprit des institutions”, pp. 9-20, Centre d’action et d’information sur le Liban ed., Actes du colloque organisé par le Centre d’action et d’information sur le Liban et le Centre d’étude et de recherches internarionales.

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