Yvan Lebreton, le 22 mars 2023
Ce samedi matin 11 février, Alain Finkielkraut recevait Edwy Plenel dans son émission « Répliques ». Le thème : « Qu’est-ce que la vigilance ? ». On sait que les deux hommes ne s’accordent pas au plan des idées : le premier s’inquiète pour la culture française et européenne, pour la question de l’identité ; l’autre récuse la question de l’identité et se présente comme défenseur des musulmans, qu’il compare aux Juifs des années 40. L’émission m’a laissé un sentiment ambigu, et même de malaise. Le temps de parole a été très majoritairement occupé par Plenel, Finkielkraut m’a paru en retrait sur ce terrain.
La position de Plenel, m’a-t-il semblé, avait un étrange privilège rhétorique, celui de ne pouvoir être contesté. Son discours reposait sur quelques principes : l’égalité sur tous les fronts touchant à l’humain, des Ukrainiens aux Palestiniens, sans oublier toutes les minorités (LGBT rappelés). L’autre principe inspirant son travail de journaliste : l’attention au réel, aux faits de réalité qui nécessitent toute sa vigilance. Le troisième et dernier que j’ai noté, principe organisateur : la supériorité de l’égalité sur l’identité. D’un certain point de vue, rien à redire.
Pourtant, je trouve à redire dans le détail. La question de l’islamisme, par exemple, n’est pas directement abordée ; seuls « les Musulmans » sont évoqués, avec la reprise sans aucune analyse du mot « islamophobie », terme indistinctement accablant pour tous ceux qui sont amenés à réfléchir et à s’interroger sur l’islam comme religion et culture. Plenel définit l’ « islamophobie » de manière très approximative : « la détestation de l’islam et des musulmans ».
Or, c’est une caricature et une fermeture du débat. Curieusement Finkielkraut – fatigué, ce matin ? – ne le reprend pas : on peut et on a le droit de s’interroger sur certains aspects de toute religion, de toute culture, de toute idéologie, c’est même le fondement de la liberté d’expression et de la liberté absolue de conscience, à condition de respecter les personnes. Edwy Plenel emploie ce terme comme si aucune analyse jamais n’avait été construite pour montrer le caractère manipulatoire du terme, pour en percevoir la dimension violente, avec en arrière plan la volonté de placer l’islam et ses différents aspects dans un statut d’exceptionnalité. Volonté aussi de réactiver le délit de blasphème là où il n’existe pas, en France. Je suggère le livre puissant de Philippe d’Iribarne : Islamophobie. Intoxication idéologique (2019).
Rhéteur adroit qui invariablement se place en majesté du côté du Bien et de la Justice, Plenel multiplie les phrases pour faire oublier à l’auditeur impressionné que, dans le monde réel, des forces économico-politiques de premier ordre considèrent l’Occident comme l’empire du mal, et l’Europe comme la terre à conquérir, que ces puissances ont pour projet d’empêcher l’intégration des populations musulmanes dans les pays européens où qu’elles se trouvent en Europe et de les attacher à une « oumma » musulmane transnationale. Plenel semble n’avoir pas connaissance de l’hostilité théorique (voir les documents officiels publics, de l’OCI, de l’ISESCO), et de l’hostilité pratique de ces puissances qui investissent massivement dans le wahhabisme, le salafisme, et, de manière différente, dans le mouvement des Frères musulmans. Et de manière fort efficace : le salafisme ne touchait que 2% des musulmans il y a une trentaine d’années, désormais il s’agit de 30% ; la visibilité du voile dans la rue jusque dans les instances de l’UE en donne un exemple frappant. La question du « séparatisme » musulman doit paraître, aux yeux de Plenel, comme une folie sans fondement et la preuve d’un racisme systémique français.
Alors, quelques questions à Plenel : aspire-t-il à l’instauration de la charia en France et en Europe ? Veut-il laisser place à Allah, le grand législateur, pour régler les rapports humains ? Veut-il renoncer à l’émancipation par le savoir, abandonner la liberté absolue de conscience ? Et puisqu’il se réclame du principe de l’égalité, souhaite-t-il que l’égalité homme-femme ou femme-homme soit révisée selon le Coran … ?
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