Note à l’intention de son Excellence, Monsieur l’Ambassadeur du Liban auprès de l’Union Européenne

Frédéric Farah & Jérôme Maucourant

Novembre 2019, un moment décisif pour Le Liban et l’Union européenne

 

Salus populi suprema lex est

 

Préambule. L’ordinaire et l’inédit

Nous sommes très honorés de la demande qui nous est faite. L’un de nous possède la double nationalité, française et libanaise, l’autre, la seule nationalité française ;  mais sommes attachés à l’idée que le Liban puisse exercer pleinement son droit à la souveraineté nationale. Autrement dit, les réflexions qui suivent ne relèvent pas du tout de la tentation de l’ingérence mais du désir que la France et l’Union Européenne apportent enfin un vrai concours au Liban durant ces circonstances difficiles. Bien sûr, cela implique une rapide analyse des politiques qui ont été menées au Liban ces dernières décennies, qui, il faut le souligner, portait l’empreinte des idéologies très en vogue en Europe et aux Etats-Unis depuis la fin des années 1970, c’est-à-dire avant que le crise de 2008 ne remette en cause maintes orthodoxies.

Il existe, s’agissant de l’UE, beaucoup de mécanismes de mécanisme de coopération ou d’assistance : nous reviendrons sur quelques uns qui peuvent être utiles. L’important, toutefois, n’est sans doute pas l’existence de ces procédures mais la volonté de les mettre rapidement en œuvre, car l’effondrement du change menace. Il serait même souhaitable d’innover : quelle que soit l’efficience du gouvernement par les règles de l’Union, pour ce qui est périodes ordinaires, il est assez clair que le trait propre de l’économie et de la politique est celui de l’incertitude. Il faut par conséquent oser le changement en matière d’institutions, savoir distinguer l’habituel de l’inédit, et donc mettre en place des mesures faisant face à l’extraordinaire, c’est-à-dire faire de la politique.

Or, nous, Européens comme Libanais, faisons face en effet à des événements qui sortent de l’ordinaire. Les évolutions de la politique internationale, entre l’Iran et les Etats-Unis, le nouveau visage de la crise syrienne et l’épuisement des structures qui ont façonné le Liban de l’après guerre civile[1], suggère une forme d’état d’exception : que la Commission garantisse en une proclamation solennelle, immédiatement, la parité actuelle de la livre libanaise avec le dollar pour une période de dix ans. N’avons nous pas le souvenir que pour sauver l’Euro, Mario Draghi s’est engagé à user de tous moyens nécessaires, même en sortant du cadre des règles existantes ? Est-il possible d’occulter que le Liban est une partie de l’étranger proche de l’UE et que son effondrement constituera un grave problème humanitaire et sécuritaire ? Que la remontée des autoritarismes à fondements ethnique ou religieux peut se produire en cas de crise sociale ? Peut-on d’ailleurs oublier toutes les occasions perdues et, disons, les fautes commises depuis un demi-siècle par les États européens dans ce si Proche Orient ? Cette mesure de soutien à la devise nationale est une demande que son Excellence doit adresser aux Européens très vite, qui doivent enfin comprendre qu’on ne peut séparer arbitrairement l’économie de la politique, surtout en matière de monnaie.

Les amis du Liban, que nous sommes, proposons également que cet état d’exception soit appliqué à l’économie nationale par la dénonciation des accords de libre-échange. Nous suggérons aussi une mesure qui relève aussi de la pensée de l’exception : la simple mise en application du droit du travail, ce qui constituera paradoxalement une exception ne bouleversant pas l’ordre juridique mais aidera à refonder l’État et la société. Notre propos ne vise donc pas à demander à l’UE d’éteindre les incendies préjudiciables au vieil ordre des choses mais de laisser un peuple décider de ses orientations politiques dans le cadre de la démocratie et de l’État de droit, autant de formes politiques vantées par l’UE.

Notre propos est de justifier cette demande inédite, tout en donnant d’autres idées qui ne sont pas organiquement liées à cette proclamation hétérodoxe. Tout ou partie de ces mesures auraient l’avantage de donner un statut d’acteur stratégique à l’Union européenne et de reconstituer le Liban sur des fondements plus assurés. Sans elles, la morale internationale de l’Union en Méditerranée orientale serait gravement affectée, tout comme ses intérêts de court et moyen terme ; quant au Liban lui-même, s’il ne se réaffirme pas sa volonté d’exister par les mesures proposées, il risque de manquer sa transition vers ce nouvel ordre des choses souhaité par le peuple, c’est-à-dire la fin du capitalisme de compérage et l’émergence d’un État impartial.

Les suggestions qui suivent sont le résultat de décennies de discussions avec les experts, les acteurs politiques et associatifs, ainsi qu’avec la population libanaise elle-même ; ces suggestions sont aussi issues de la perspective que nous offre l’approche comparative des système sociaux et l’histoire économique de longue période. Nos propositions sont doubles et visent ce que l’on peut demander à l’Union et ce que le Liban peut, par acte de souveraineté, instituer de suite. Mais, il nous faut tirer avant cela un bilan rapide du passé.

 

Tirer les leçons des expériences européennes

Nous voulons démontrer qu’aucune transition vers un autre ordre politique et économique au Liban ne sera possible selon les « réformes structurelles », privatisations en tout genre, libéralisation et déréglementation de tous ordres ou libre échange sans ordre[2]. Les attentes de court terme des bailleurs internationaux, enfermés dans des prismes qui ont montré maintes fois leur nocivité, ne peuvent être des guides pour l’action. A travers les cas chypriote, grec et portugais, l’UE a montré, à son corps défendant, combien brader les biens publics et encourager les privatisations à outrance, écraser les salaires et l’investissement, n’étaient pas des solutions mais aggravait lourdement les difficultés rencontrés déjà par ces pays. Comme conséquence de cette politique, il y eut la migration forcée d’une importante main d’œuvre, souvent jeune et qualifiée, ce handicape l’avenir productif de ces nations, cependant que les autres États membres de l’UE eurent à subir une concurrence fiscale aggravée (une solution classique pour les États en difficulté). Notons par surcroît que la géopolitique était bien favorable et que les souveraineté de ces États établie sur une base pérenne : rien de tel au Liban.

Précisons les choses : la seule obsession de ces programmes est de rétablir à tout prix le solde des transactions courantes, au nom de l’idéal de compétitivité. Mais, il s’agit d’une hérésie économique en forme de réhabilitation singulière du mercantilisme, au sein d’une Union qu’on aurait pu croire plus libérale. Rappelons que le déterminant de long terme de la richesse des nations est la productivité. La productivité n’est pas la compétitivité : augmenter celle-ci indûment en négligeant celle-là, n’aboutit qu’à un jeu non coopératif allant contre le bien commun. L’effort aurait du porter sur la formation, la construction de filières exportatrices et la construction de spécialisations industrielles. Car, si les avantages comparatifs existent bien, ils sont construits. La gestion européenne de la crise dite imprudemment des « dettes souveraines » de 2009 à nos jours est un modèle tragique de ce qu’il convient de ne pas faire. L’UE n’est pas une référence en terme de croissance et encore moins l’Eurozone.

Le Liban, à la croisée des chemins aussi bien politique qu’économique, devrait se garder d’emprunter la voie des plans d’ajustements structurels du FMI ou des traditionnels memoranda européens. Depuis de nombreuses années, l’épuisement du modèle de croissance, incarné par Rafic Harriri, avec les encouragements de Jacques Chirac et de l’UE (souvenons-nous des accords dit « Paris 2 de 2002 »), a déjà contraint ainsi à l’exil une main d’œuvre jeune et formée. Si, par malheur, les conditions de l’aide visait à des privatisations de vaste ampleur, des prix de braderie seront nécessaires, tant les risques sont élevés. La peur du lendemain implique par ailleurs des modes gestion problématiques visant à l’obtention de gains à court terme. L’accumulation du capital faiblira encore. La seule préoccupation du court terme fait oublier que le manque de capital, humain comme matériel, impliquera à terme la stagnation, ce découragera l’investissement privé lui-même !  Comment, dans ces conditions, en finir avec une économie de rente et de prédation, dont les crises du change, du budget sont l’expression immédiate ?

Les mesures suggérées montreront enfin que la question du Liban et, plus généralement, celle de la Méditerranée orientale, cesseront d’être négligées, qu’on en finira avec le principe « deux poids, deux mesures ». Comment ne pas juger problématique l’accord de libre-échange signé par Rafic Harriri avec l’UE, en 2000, pour la somme absurde de 10 millions d’euros d’aide, là où le gouvernement précédent de Selim El-Hoss avait demandé, au minimum de 350 millions ? Car, ce montant est à l’égal de ce qu’avait obtenu la Tunisie qui n’avait pas connu de guerre et d’occupation comme le Liban. Quant à ces guerres et occupations : les citoyens d’un État européen que nous sommes ne sommes pas prêts d’oublier la négligence – voire le cynisme – de l’Europe entière depuis 1948 sur ce dossier du Proche-Orient[3]. Qui ne voir qu’une fraction de l’élite libanaise a été ainsi cooptée, se frayant un chemin dans le monde des Grands au détriment de son pays, avec la complicité de la présidence française et de l’establisment européen ? Accepter le programme proposé, c’est en finir avec ce système de complaisance, c’est travailler à une nouvelle ère dans l’intérêt de tous et solder les comptes du triste siècle passé en ce qui concerne le Proche-Orient.

 

Retour sur la dynamique présente de la crise libanaise

Au lieu de jouer l’apaisement en Syrie, par exemple en acceptant comme interlocuteur de cette fraction de opposition interne au régime qui se projetait dans un avenir laïc et démocratique sans exiger le préalable de la chute du régime, l’Occident s’est désintéressé de la question ou a contribué à l’émergence d’organismes d’opposition basés à l’étranger et au mains des Frères musulmans. Certains intellectuel laïques ont servi de caution à cette opération, contre un train de vie enviable financé par le contribuable européen. Notre responsabilité comme Européens dans la crise des réfugiés existent bel et bien et, l’on ne peut pas dire que la réponse fut à la hauteur des enjeux et responsabilité de la première puissance économique du monde. Les États-membres de l’UE ont  soutenu le Liban grâce à des programmes d’investissement fondés sur l’emprunt prêts, pour des projets d’infrastructures et développement urbain. Or, cette approche n’est pas viable.

L’économie libanaise est très tertiarisée et fort ouverte. Des dépenses en infrastructures ont donc peu de conséquences positives sur le circuit économique : il y a beaucoup de fuites. Le Liban n’est ni l’Allemagne ni les États-Unis … Ce genre injections de monnaie est donc problématique, la situation est demeurée précaire. Investisseurs et acteurs économiques locaux (même des PME !), parfaitement rationnels et conscients de la situation, se ainsi sont tournés, quand c’était possible, vers des pays plus (devenu plus) stables et maintenant compétitifs dans la région, comme la  vers la Turquie ou l’Egypte. Pire encore, l’urgence budgétaire a poussé le gouvernement libanais à improviser des mesures fiscales sans tenir compte des conséquences sociales et économiques, encouragé qu’il était par une communauté internationale marquée par l’orthodoxie. Le résultat fut une hémorragie croissante des capitaux et, finalement, une dégradation dramatique de la balance des paiements : le fait que le taux de change soit fixe est, dans ce cas, une circonstance aggravante. Même si la banque centrale possède un des niveaux de réserve de change les plus élevés au monde, cette situation n’est pas durable, en raison, nous l’avons vu, de l’état d’une économie qui importe presque tout. Certes, la réaction des banques commerciales, pratiquant un autocontrôle des changes, et l’essor de la contestation ont achevé de miner toute forme de confiance dans les politiques monétaire et budgétaire. Mais ce sont des conséquences de la dynamique de crise et non la raison de celle-ci.

Contrairement à ce que suggère une certaine opinion répandue dans les media et certains milieux politiques, qui n’aime pas regarder les réalités en face, la crise syrienne et l’immigration de masse, qui s’en est suivie, a donc eu des effets problématiques qui ont achevé le fragile édifice libanais. Il faut détailler, à ce stade, le conséquences du choc migratoire : les employeurs libanais ont substitué de la main-d’œuvre libanaise par une main d’œuvre syrienne, moins onéreuse. Artisans et petits commerces et ateliers syriens ont remplacé leurs équivalents libanais (du plombier au garagiste et au marchand de légumes). Une part de l’élite dirigeante a fait engager les nouveaux chômeurs libanais dans des officines publiques (+10.000 rien que depuis 2017). Les dépenses publiques ont explosé, financées par de la dette et Libanais qui refusent de faire partie d’une clientèle politique ont eu recours à la dette privée pour cacher leur nouvelle pauvreté.

En 2015, un déficit criant de la balance des paiements a sanctionné ce nouvel avatar de l’économie de rente[4]. En réponse, la banque centrale a fait d’énormes cadeaux aux banques en livres libanaises pour les amener à rapatrier leurs fonds placés à l’étranger ou à offrir des taux intérêts élevés à des non résidents (Libanais ou autres). Cette masse nouvelle de monnaie a alimenté la bulle de crédits à la consommation et s’est donc ajoutée aux dépenses publiques pour gonfler une demande sans contrepartie d’offre. Le déficit a donc soldé le déséquilibre. Certes, la révision, avec 12 ans de retard, de la grille des salaires dans la fonction publique a aggravé le gonflement de la masse monétaire, mais ce ne sont certainement pas les fonctionnaires qu’il faut blâmer …

Dans ce contexte, les pressions financières, les sanctions internationales et l’utilisation du territoire libanais pour contourner les sanctions internationales ont joué un rôle critique dans la dernière séquence de la dynamique de la crise. Il faut préciser ce point : le Gouverneur de la Banque Centrale a admis, récemment, que le problème est « peut-être dû à un excédent d’importations » et que « ces importations ne seraient peut-être pas toutes destinées au marché local ». Il découvre que le Liban consomme deux fois plus de pétrole qu’autrefois. Malheureusement, les devises gagnées grâce à des réexportations ne refluent pas vers le Liban. Le scénario admis est le suivant : des hommes d’affaires libanais (proches du régime syriens) ou syriens vident leurs comptes au Liban et se font repayer à Doubaï ou ailleurs, se contentant parfois de livres syriennes dans l’attente de participer aux bonnes affaires de la reconstruction en Syrie ….

Par ailleurs, la pénurie de dollars en Syrie a amené les dirigeants de ce pays à contraindre les anciens et les nouveaux riches à rapatrier leurs dollars de l’étranger. Les milieux bancaires confirment que 2 milliards de dollars ont quitté le Liban à destination de la Syrie entre novembre 2018 et octobre 2019 (3.5% du PIB) ! Des individus avec des valises bourrées de monnaies « régionales » ont débarqué à Beyrouth, pour acheter des dollars et les emmener en Turquie, et il a fallu qu’ils soient arrêtés par la police pour qu’on découvre l’existence de cambistes non autorisés collectant des dollars sur le marché libanais pour les expédier à l’étranger. … Cet épisode et la crise actuelle a entraîné finalement l’interdiction par le procureur général du transport de dollars dans des valises via les postes frontières et l’aéroport.

La vérité doit être dite : l’acmé de cette crise financière procède d’un problème de sortie de capitaux, ce n’est pas, essentiellement, un problème de ralentissement du tourisme, de récession de l’immobilier et de baisse de la remises des émigrés. Ce n’est donc un problème d’entrée de capitaux. Le contexte de la politique internationale est le facteur critique menant au troubles financiers, monétaires et sociaux actuels. C’est pourquoi une telle cause doit être résolue par des moyens politiques, ce qui explique pour partie le caractère hétérodoxe de ce que nous préconisons. Le Liban, quelles que soient les malfaçons de sa structure politico-économique, héritées de la guerre, doit affronter des enjeux qui le dépasse mais qui sont à la hauteur de l’UE. C’est d’ailleurs de l’intérêt bien compris de celle-ci d’aider à sa résolution.

Résumons les points cardinaux de l’analyse : l’accélération du processus de crise commence donc bien avec le renforcement du blocus européen et américain de la Syrie, en particulier pour les produits pétroliers, en 2018 et 2019. Les hommes d’affaires syriens sommés de rapatrier leurs dollars placés à l’étranger, notamment au Liban, comme on l’a vu, ont aggravé l’hémorragie. Même si des capitaux qui ont quitté la Syrie pour le Liban avec la guerre, il est vrai, à partir de 2011, atténuant le choc migratoire, plus rien ne l’endigue à ce jour. Bien au contraire, il achève de désarticuler complètement une économie déséquilibrée après avoir renforcé son caractère improductif. Les Occidentaux ont joué avec le feu d’une société et d’une économie qui ne s’était jamais remise de 15 ans d’une guerre civile destructrice, laquelle a crée des nouvelles féodalités colonisant l’État ; l’on a cru reconstruire celui-ci avec la seule foi que devrait susciter les mécanismes du marché et de la finance globale. Pourtant, en Europe, on n’a jamais construit d’économie marchandes dynamique et de révolution industrielles sans ériger un État. Il n’y a pas d’exception proche-orientale à cet égard.

 

Le détail des mesures envisageables

Voilà ce qu’il nous parait souhaitable de mettre en œuvre pour espérer, dans un court et moyen terme, apporter une réponse sérieuse à la situation. Ces mesures peuvent être d’ordre interne et externes ou, disons d’ordre national et de coopération internationale. Il s’agit de sortir des querelles stériles et dépassées sur le plus ou moins d’État, mais de faire en sorte que l’État accomplisse les fonctions qui le légitime, comme la simple application de la loi, par exemple, ou la protection des intérêts vitaux de la nation.

S’agissant des décisions d’ordre interne, impliquant la seule volonté de l’État libanais :

  • Invoquer les clauses d’urgence et dénoncer sur le champ les accords de libre-échange défavorables à l’économie libanaise. L’état absolument catastrophique et peu commun, disons le, de la balance des paiements, justifiera simplement cette décision ! Il convient ainsi d’en revenir à des tarifs moyens de 20% en termes de tarifs douaniers, au lieu des 7% actuels, c’est-à-dire à ceux qui prévalaient avant le retour de Rafic Hariri au pouvoir en 2000. Il est possible de chiffrer les conséquences de cette baisse pour les finances publiques libanaises : 36 milliards d’USD à la fin de l’année 2018, soit 62% du PIB en valeur actuelle ! Les droits de douane pourraient être exemptés sur les intrants agricoles et industriels et les produits sans équivalent local et l’on retaxerait avec profit le reste, comme les produits de luxe[5]
  • S’assurer de la fiabilité des informations fournies par la Banque centrale quant aux mouvements des capitaux ; il faut, au préalable, contrôler les capitaux informels : changeurs non enregistrés, valse de valises de billets …
  • Un soutien à l’activité privé paraît nécessaire par attention particulière portée au marché du travail : améliorer les conditions de travail, le rendre attractif particulièrement pour les plus jeunes. Pour cela, il suffit de faire appliquer le droit du travail ! Le marché du travail libanais ne doit plus être sous la pression de la main d’œuvre des pays arabes, syrienne en particulier, ou de pays comme le Skri Lanka ou Pakistan. De cette façon, les dépenses publiques clientélistes, qui certes, absorbent la pression sociale, mais asphyxie à terme l’économie, diminueront, puis, disparaîtront.

 

S’agissant des mesures d’ordre externe, c’est-à-dire des demandes à adresser à l’Union Européenne, les voici par ordre de priorité, et l’on nous pardonnera leur diversité :

  • que la Commission proclame que tout sera mis en œuvre pour préserver l’actuelle parité de la Livre Libanaise, en raisons des intérêts essentiels que revêt la stabilité de ce pays pour l’Union. Cette seule proclamation fera cesser l’hémorragie de devises. Plus, elle contribuera au reflux de celles-ci vers le système bancaire national. A partir de l’énoncé de cette volonté s’ouvrent toutes les possibilités sophistiquées des administrations européennes : mais rien n’est possible sans une communication bien faire faite autour de la proclamation de ce principe. Cela a toujours été vrai dans l’histoire monétaire, c’est encore plus vrai dans un monde globalisé. Et pourquoi ne pas constituer des dépôts dans le système bancaire libanais, ce qui rassure le public et atténue la pression sur la liquidité ?[6]
  • Immédiatement après l’acte de dénonciation des accords de libre-échange par le Liban, l’UE doit donner son soutien à cette mesure conforme aux intérêts vitaux d’une puissance voisine ; plus encore, pour montrer, que l’on change de paradigme, l’Union européenne devrait financer le transport vers sa propre zone de produits libanais conformes aux conditions normatives de l’UE. Il s’agit donc bien de tirer ainsi la croissance par les exportations, de jouer consciemment une logique de réindustrialisation en se servant du marché et non pas en s’abandonnant à la mystique du marché libre et de la finance globale. Il convient, aussi, d’utiliser le mécanisme déjà en place d’aide aux exportations géré par l’Investment and Development Authority in Lebanon (IDAL) et, mieux encore, de financer le transport des exportations libanaises vers leurs marchés traditionnels que sont les pays arabes du Moyen-Orient et les pays du CCG, avant que ces marchés ne soient complètement perdus.

 

  • Œuvrer avec l’Union Européenne à l’abandon du secret bancaire partout où cela relève de leur initiative : le nouveau monde à construire ne peut plus être fondé sur l’opacité des circuits de financement qui nuisent à la démocratie et l’État de droit.

 

  • Que l’UE finance un nouvel essor de la statistique au Liban grâces à des bureaux de recherche privés, des enquêtes annuelles sur les conditions de vie des ménages et le marché du travail[7]. Publiquement et solennellement, les résultats des enquêtes une fois par an, à date fixe, seront rendus publics. Ce qui mettra l’élite dirigeante devant ses responsabilités. Enfin, sur cet aspect de chiffre : le Liban acceptera une transparence totale des comptes sa banque centrale, du secteur bancaire et du secteur public (incluant les mouvements de personnel et les appels d’offre pour les projets d’infrastructure) comme condition de la poursuite des aides de l’UE.

 

  • Dans le cadre de l’assistance technique fournie par l’UE aux institutions publiques, favorisons les jumelages et les partenariats avec des institutions publiques européennes, et cessons le recours aux sociétés de consultant. Favorisons ainsi le recours à des institutions françaises vu la proximité historique et culturelle : la langue et la culture françaises sont, historiquement, la raison même de l’ancrage du Liban à l’UE, à travers la France, alors que l’anglais ouvre les Libanais, non pas au Royaume-Uni (de toute façon déjà en dehors de l’UE !), mais aux États-Unis ou à l’Australie et au reste du monde …

 

  • Cesser d’élaborer des programmes comme ceux de la CEDRE, qui ne jurent que par l’appel au privé, alors, qu’à la lumière de l’expérience historique, la puissance publique joue un rôle clef dans le développement de la nation. On ne développe pas un pays en démantelant ce qui fait (encore) la puissance de l’État. Privatiser certaines activités dans des pays ou l’existence de l’État est assuré est, bien sûr, possible, mais liquider les dernières sources de revenus dans un pays où la fiscalité est à construire et l’État à réinventer n’a pas de sens. Sans compter que les propriétés publiques sont un moyen de politique économique dont on ne peut se passer dans la dynamique de reconstruction nationale.

 

  • Cesser d’insister sur les partenariats publics-privés (PPP) dont toute la nocivité encore une fois a pu être mesurée, en Europe même, lors de la mise en œuvre des lignes à grande vitesse Paris-Bordeaux ou Paris-Rennes. Dans le cas du Liban, cela revient à confier des actifs à des entreprises privées dont la probité reste à montrer … que les raisonnements abstraits prennent en fin compte la spécificité des contexte locaux ! De même, ne plus encombrer les discussions, en ces temps d’urgence, de la référence aux « autorités indépendantes de régulation », qui minent un peu plus l’autorité des ministères et laisser place à la gouvernance en lieu et place du gouvernement. Il faut au contraire moderniser la fonction publique libanaise.

 

  • Cesser de faire la promotion au Liban de la TVA et faire la promotion de l’impôt direct, ce qui toujours été repoussé par l’UE jusqu’à présent.

 

Conclusion

 

Votre excellence, nous espérons avoir dessiné une image convaincante de la crise et des solutions qui vous conviendront.

Certaines s’inscrivent dans une perspective de long terme. Nous souhaitons donner un complément à ce dispositif : les lignes qui suivent s’écartent certes du dispositif idéologique dominant de l’UE ce jour. Protéger la Livre est, en effet, nécessaire, en effet, mais non suffisant. L’État doit jouer un rôle dans le sens que Keynes imaginait : orienter l’investissement productif, même si ceci est encore loin des traditions libanaises. Mais, ce que la Corée du Sud a fait est possible au Liban. Il conviendrait de financer des investissements dans deux domaines : les infrastructures et la transformation industrielle. Cet effort pourra être financé en vendant le gaz qui n’a pas encore été découvert. Pour s’engager dans cette démarche de création d’une économie de production, il faut un dispositif administratif qui n’existe pas. Il faudrait donc créer une Agence de Planification Indicative comme Think Tank et un dispositif d’exécution. La France a une expérience précieuse, il existe encore des fonctionnaires et des juristes français pouvant aider à la réforme administrative. C’est ainsi que la France, notamment à l’époque du Général de Gaulle, à rattrapé son retard avec les États-Unis dans les années 1960.

 

[1] Structures qui doivent beaucoup au climat idéologique et aux intérêts des États occidentaux et notamment européens.

[2] Nous pensons qu’un libre-échange bien ordonné est en fait un juste-échange combinant l’initiative décentralisée et l’équité dans les transactions.

[3] Nous pourrions revenir plus longuement pour ces questions politiques aux fortes incidences économiques

[4] Dans un pays où l’industrie et l’agriculture n’ont, non seulement, jamais été aidées à se remettre de la période des guerres (1975-1990), mais soumises à de nombreux démantèlements tarifaires unilatéraux par Rafic Hariri (notamment en 2000, comme nous l’avons par ailleurs évoqué), avant même la signature de traités de libre-échange avec les pays arabes et l’UE, traités qui ont achevé de détruire ce qui pouvait être détruit, la masse de livres libanaises crée par les dépenses publiques et les emprunts privés se transforme en dollars pour financer les importations.

[5] Outre l’état de nécessité absolue qui justifie cette suspension immédiate, il sera rappelé que les accords de libre-échange avec les pays arabes sont déséquilibrés en raison des subventions sur les intrants, comme la terre ou l’énergie, et de normes sociales inexistantes de facto. Un libre-échange qui repose sur le dumping social et écologique n’est qu’un désarmement unilatéral : le Liban ne peut plus supporter plus longtemps ce genre de procédé. En effet, des secteurs entiers ont disparu, ameublement, textile, verre, céramique et chaussure, et l’on voit bien que le mythe de l’économie de service ou l’insertion dans la finance globale n’est pas à même d’équilibrer les comptes extérieurs. Et, du point de vue de l’intérêt national, le seul qui vaille pour un pays en temps de catastrophe, quel est le sens de cette baisse des droits de douane de 5% pour des produits en provenance de Chine, de Turquie, du Bangladesh ou des États-Unis alors que le Liban n’y exporte rien.

[6] Que l’on use aussi des instruments connus des experts et figurant au budget européen comme : (1) l’Economic Resilience Initiative ; (2) European Neigborhood Policy ; (3) Cross Border Cooperation.

[7] En attendant de transférer les ressources développées à cet effet vers l’Administration Centrale des Statistiques le jour où l’État se décidera à faire le nécessaire en la matière.

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