Yvan Lebreton, le 12 octobre 2024
Une autobiographie à la hauteur de la France contemporaine
-A propos de Ne fais ton Français !, par David Duquesne (Grasset, 2024)¹ –
Voici un livre vigoureux et décapant, un livre qui va rudoyer le lecteur, particulièrement s’il est de gauche, soutien indéfectible de l’idéologie diversitaire, partisan de tous les « arrangements raisonnables » avec l’islamisme, favorable à l’ouverture des frontières et à l’accueil sans conditions des migrants.
Deux intérêts majeurs à cet ouvrage : une dimension très personnelle et psychologique (c’est une autobiographie), et une dimension sociologique et politique, peut-être la plus passionnante !
Dans cet « itinéraire d’un bâtard de la République », on apprend que David Duquesne est né d’une mère algérienne et d’un père français (vite disparu, vite remplacé), donc en contact avec deux univers culturels. Comment un enfant se construit-il face à deux parents aux émotions excessives et souvent violentes ? Comment ce même enfant va-t-il élaborer son être alors qu’il vit à la croisée de deux cultures, dont l’histoire indique une tension croissante jusqu’à aujourd’hui ?
La fresque familiale est passionnante et pittoresque. David Duquesne excelle à brosser une galerie de portraits hauts en couleurs : certaines figures sont dramatiques, d’autres cocasses, mais toutes sont enveloppées par le regard d’un narrateur certes sans concession, mais empreint de sympathie, de tendresse ; on ne note jamais de colère ni de ressentiment alors qu’on pourrait s’y attendre tant les violences sont impressionnantes.
Le portrait de la mère retient toute l’attention : son aspiration à la liberté française, à l’émancipation des contraintes musulmanes, mais aussi ses contradictions, ses emportements, ses excès parfois violents, tout cela fait d’elle un personnage pivot du parcours de David Duquesne. C’est elle qui affronte durement, dès sa jeunesse, l’écart culturel entre la France et l’Algérie (mariage arrangé à 12 ans d’une amie en Algérie, et de sa sœur aînée avec l’homme du douar d’origine qui lui était destiné, les deux aux conséquences dramatiques) ; c’est elle aussi qui, lors d’un voyage en Algérie, a dû s’enfuir avec son très jeune fils, David, parce que sa famille là-bas voulait le retenir pour qu’il devienne un bon musulman !…
Mais la portée sociologique et politique du livre emporte le lecteur, tous les lecteurs, dans des considérations passionnantes concernant la présence de l’islam et de l’islamisme dans notre pays. David Duquesne rappelle toutes les difficultés nées d’une immigration venues d’une ancienne colonie, après une guerre ravageuse tant pour la France que pour l’Algérie. Quel était donc l’état d’esprit de ceux qui migraient vers le pays des anciens colonisateurs, vers le pays des ennemis de naguère ? Quel était leur état d’esprit, eux qui devaient quitter un pays libéré mais incapable de leur offrir un avenir digne ? Comment « la meilleure communauté des hommes », ainsi désignée par Allah, acceptait-elle de se livrer à des travaux rudes chez les « khouffars » ? L’auteur répond tout au long du livre : refus de devenir Français, hostilité parfois farouche, repli sur la communauté, et reprise sur le sol français des traits essentiels de la vie culturelle algérienne (ou maghrébine, ou sub-saharienne). Sans oublier peut-être l’essentiel : les menées de l’islamisme !
David Duquesne analyse ces éléments culturels, ce tribalisme ou clanisme, ce ressentiment, qui s’opposent à l’assimilation. Et cet esprit de revanche qui se manifestait dès l’école primaire. L’auteur développe le rôle du FLN et de l’islamisme dans ce refus de la France. Il évoque la rhétorique victimaire, accusatoire qui exonère toujours la communauté et accable toujours l’autre, le « sale Français », le « mécréant ».
Parallèlement, les responsabilités de la France sont abordées : intérêt du patronat, inconscience des élus face aux enjeux culturels et civilisationnels, et clientélisme de droite comme de gauche.
Mais c’est surtout la gauche progressiste, me semble-t-il, qui se trouve mise en question. Comment la gauche française parvient-elle à ne pas voir le danger d’accueillir sans vraie condition une « contre-société », une culture allogène fondée sur le refus de l’altérité, une civilisation déchirée entre un suprémacisme religieux et l’humiliation sur le plan politique et économique, sur un sentiment victimaire et agressif ? David Duquesne constate que le simple questionnement de l’immigration musulmane expose à l’opprobre et à la fameuse « reductio ad hitlerum ». « La République a mis un voile sur les yeux de la France ».
L’auteur remarque qu’il y a un point aveugle dans le discours moral qui domine : l’absence d’une analyse civilisationnelle ou culturelle des problématiques liées à l’islam. L’islamisme serait une frange ultra minoritaire, le résultat du racisme systémique et de l’injustice économique et sociale. David Duquesne souligne davantage l’importance du tribalisme, de la solidarité inconditionnelle au sein de la communauté musulmane ; l’islamisme trouve dans cette solidarité de quoi se protéger et de quoi se renforcer sans cesse ; de surcroît, selon l’auteur, « beaucoup de musulmans ont des islamistes dans leur famille, on ne prend pas facilement parti contre un frère ou un cousin en faveur des mécréants ». Toute immigration musulmane, avec ses effets de concentration géographique (les « quartiers ») renforce logiquement la base culturelle et religieuse de l’influence islamiste. La gauche anticapitaliste « pense y trouver des intérêts électoraux voire idéologiques dans le cadre d’une déconstruction de la société française, l’immigration musulmane lui servant de bélier contre la nation ». Au passage, notons l’étrange tolérance ou acceptation par cette gauche d’un sexisme islamiste très discriminant à l’égard des femmes.
La gauche se confine dans une interprétation économique et une inversion du réel : c’est la société française qui est responsable des difficultés des musulmans, par racisme et inégalités économiques, ce qui est une manière de disculper ou déresponsabiliser les délinquants et criminels issus de la diversité. En invoquant le « droit à la différence » elle a aussitôt ouvert la voie à la « différence des droits », qui ne peut que dissocier la société française. L’islamisme joue habilement avec les lois démocratiques et « l’Etat de droit » pour étendre son influence et sa visibilité politique.
Personne ne sortira indemne, ni lectrice ni lecteur, de droite ou de gauche, de la lecture d’un tel livre qui pose – enfin ? – des constats, des questions et qui avance des réponses bien loin des consensus informes qui, souvent, ressemblent à des lâchetés indignes.
Le style vigoureux et tellement vivant de David Duquesne produit un ouvrage tonique, vivifiant, dérangeant, éclairant. Je pense à ces objets métalliques rouillés que la patience restaure et ressuscite grâce à un liquide décapant ; le travail de l’auteur est de débarrasser la rouille idéologique de la bien-pensance, avec, comme élément décapant, l’intelligence et l’amour de la France.
¹ https://www.grasset.fr/livre/ne-fais-pas-ton-francais-9782246833406/
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