Pour Jacques Jedwab
Jérôme Maucourant

En mémoire de Jacques Jewab (1946-2022), militant pour la paix  ici et là-bas (avec son pdf)

Écrire «  Avec un psychanalyste aussi engagé que moustachu, Marseille, 2015 » 
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En mémoire d’un psychanalyste combattant :

Jacques Jewab (1946-2022)

 

Jacques,

C’est à toi que je veux parler, même si tu n’es plus là.

C’est la dernière fois que je peux aussi te parler avec un public ami. Comment ne pas désirer t’adresser la parole une dernière fois alors que, pendant plus de 15 ans, il ne s’est pas passé deux semaines sans que nous nous téléphonions !  Je voulais donc te dire à quel point j’admirais ton intelligence vive, ton humour désespéré et ton étonnante capacité d’empathie qui ont fait de toi un être exceptionnel Qualités qui firent un professionnel remarquable mais aussi un militant associatif et politique peu commun : j’aimerais en parler ici.

Nous nous sommes rencontrés à l’occasion de ton engagement envers la solidarité avec la Palestine, en 2006. L’affaire des caricatures battait son plein ; mais, à la différence de commerçants de la politique – déguisés en militants associatifs -, tu ne voulais transiger sur aucun des principes qui nous sont chers. Non à l’oppression visant des personnes ou des collectifs, bien sûr, mais non également à tous ceux qui voulaient nous diriger vers une guerre de civilisations mêlée à des conflits de religion. On en venait à légitimer, ici même, en France, chose absurde, comme la peine pour « blasphème » – ce crime imaginaire ! – ou encore, autre choses improbable, l’alliance avec de nouveaux fascistes. Ton exceptionnel empathie n’avait pas aboli ton discernement et la souffrance de l’autre – instrumentalisée par ces politiciens– ne devait autoriser aucune complaisance avec toutes ces folies qui, depuis, ont envahi l’espace public et l’ont rendu irrespirable.

Dès ces années-là, tu m’avais montré ta remarquable clairvoyance, presque prophétique en ce qui concerne ce qu’on appelle encore la « gauche », entre autres choses. En cela, bon prophète de malheur tu fus : tu étais bien un fils d’Israël ! Bien que ton humour fût souvent désespéré, nous savons que le prophète de malheur veut justement éviter le malheur. T’écouter était ainsi une remarquable leçon. Mais, eu égard à ceux qui partageait avec toi la même origine confessionnelle, tu dus endurer beaucoup de critiques injustes et des accusations grotesques de trahison. Tu tenais donc la ligne de crête. Difficile attitude. Je ne t’ai jamais vu dérailler. Tu étais admirable !  

Mais, bien sûr il n’y avait pas que le militant, l’intellectuel, le lecteur insatiable et l’homme mû par une curiosité désintéressée : il y avait l’ami. J’ai connu des tempêtes et tu fus là pour me soutenir. À 40 ans, je croyais être devenu une personne qui, pour l’essentiel, ne changerait plus vraiment : mais ces épreuves m’ont changé sans me détruire. J’ai beaucoup appris de ce qu’il faut bien appeler ton enseignement et ton attitude générale devant la vie. C’est pourquoi ta disparition, pour moi en particulier, est une perte immense. Ta présence et tes paroles, toutefois, m’ont transformé et vivent en moi. J’imagine qu’il en fut de même pour beaucoup et c’est pourquoi quelque chose de toi survit.

Durant ces derniers mois, tu m’as dit une chose frappante : « Jérôme, je suis aux portes de la mort ». Je ne savais que dire et je te l’ai dit. Devant mon désarroi, une idée m’est venue en tête : te confier simplement ce que je vivais, ce que mes enfants, Nada et Elie,  et mon épouse, Céline, pouvaient vivre. C’est ce que je fis jusqu’à la fin et ta lucidité fut telle que tu gardas toujours cet esprit de précision qui te faisait bien vite repérer mes lapsus – évidemment ! – mais aussi et surtout les contradictions qui pouvaient caractériser ce que je te racontais Ce furent parfois des points fort techniques de politique internationale !

C’est l’occasion pour moi de redire à quel point ton esprit fut encyclopédique, chose rare en ce triste ce temps, où l’on croit qu’une spécialisation outrancière rend plus efficace. De mes intérêts bizarres aux marges des idées économiques et de l’histoire ancienne, tu fus un lecteur assidu. J’imagine le visage de mes collègues voyant que je remercie un psychanalyste dans mes écrits spécialisés ! De ma passion pour l’histoire grecque et romaine, aussi, tu n’as cessé de vouloir débattre. Et dernièrement, de Robespierre et Saint-Just et de la difficile quête d’une cité juste. 

Voilà : jusqu’au bout nous parlâmes de la vie. On ne peut parler de la mort, on ne peut penser la mort, même si évidemment tout part de la mort. Puisque tu me précèdes dans ces portes d’un monde sans retour, je te redis que tu fus un homme exemplaire.

Je souhaite être toujours digne de cette amitié que tu m’accordas.

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